VHP0U1 (2018-2019) : Philosophie de la crise contemporaine – la société, M2, S10 (V. Bourdeau)

Société de classes et méritocratie (jeudi 10h-12h)

Vincent Bourdeau

[Ce cours peut être utile aux agrégatifs pour préparer le thème au programme de l’oral : « La Politique »]

Résumé

Le langage de la classe ou des classes sociales a disparu des débats savants et de l’arène publique depuis les années 1980. Le terme d’ « exploitation », qu’on lui associe habituellement, a connu une éclipse durable dont il n’est sorti que récemment. A travers le reflux de ces concepts, une manière de lire le social semble s’être dissipée polarisant l’appréhension des sociétés modernes dans deux directions antagonistes : d’un côté un consensus démocratique et social visant à faire l’éloge des différences, de l’autre une fracturation nouvelle des sociétés sur de nouvelles lignes de faille (religions, identités culturelles et ethniques) à quoi on voudrait opposer une unité passée ou imaginée – républicaine par exemple dans le cas de la France. Dans son ouvrage de 1989, Les classes sociales en France. Un débat inachevé (1789-1989), Larry Portis note que tout au long du XIXe siècle, l’apparition puis l’éclipse du concept de « classes sociales », de même que le reflux d’une analyse sociale, historique ou politique plaçant la « lutte » ou les antagonismes de classes au cœur de la vie des sociétés, sont largement tributaires de la présence ou de l’absence d’un discours adverse qui fait le choix du consensus social comme grille de lecture de la réalité. Porté par plusieurs courants scientifiques ou polémiques, depuis les approches conservatrices du social jusqu’au durkheimisme en passant par l’inspiration leplaysienne, ce discours place au cœur de ses conclusions l’intégration sociale. Il soutient que les logiques cohésives du social sont la « norme » des sociétés, quand la conflictualité en serait une forme pathologique. Dans ce cours, nous chercherons à retracer l’histoire du concept de classe/s sociale/s afin d’en dessiner les contours théoriques puis d’en évaluer les usages contemporains dans les sciences sociales et les débats politiques. Nous insisterons alors particulièrement sur le modèle social de reproduction que les sociétés modernes et libérales ont mis en œuvre : en parallèle de la montée d’une classe moyenne, effaçant les frontières de classes – au moins dans le discours politique – c’est tout un jeu de distribution légitime des rôles qui a été valorisé sous le mécanisme dit de la « méritocratie », puis, après la Seconde Guerre mondiale, de l’égalité des chances. Aujourd’hui la crise de la société de classes est indissociable d’une crise du modèle méritocratique.

Bibliographie

– Bourdieu P., Sociologie générale, Vol. I et II, Paris, Seuil, 2015 et 2016.

– Duru-Bellat M., L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2006.

– Marx K., Les luttes de classes en France, Paris, Folio/Histoire, 2002.

—- , Le Manifeste communiste, in Philosophie, Paris, Folio/ Essais, 1997.

—- , Le Capital, Livre I, Section I à IV, Paris, Flammarion/ Coll. Champs, 2008.

– Jones G.-S., Languages of class. Studies in English working-class history 1832-1982, Cambridge, Cambridge University Press, 1983

– Hoggart R., 33 Newport Street, Paris, Seuil/ Points Essais, 2013.

– Krop J., La méritocratie républicaine. Elistisme et scolarisation de masse sous la IIIe République, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

– Portis L., Les classes sociales en France. Un débat inachevé (1789-1989), Paris, Les éditions ouvrières, 1988.

– Piguet M.-F., Classe. Histoire du mot et genèse du concept : des physiocrates aux historiens de la Restauration, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1996.

– Rancière J., La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris, Fayard/Pluriel, 2012.

– Spitz J.-F., Pourquoi lutter contre les inégalités ? , Paris, Bayard, 2009.

– Weber M., Economie et société, Paris, Pocket/Agora, 1995 [Tome I et II, lire en particulier le dernier chapitre du Tome I].