« La société comme corps : se représenter la totalité sociale et ses parties »
Ateliers doctoraux 2023 du laboratoire Logiques de l’Agir
Mercredi 8 et jeudi 9 février 2023
UFR SLHS de l’Université de Franche-Comté
Salle E14 (Grand Salon), entrée par le 18 rue Chifflet, 25000 Besançon
Argumentaire
Nous souhaiterions, dans ces ateliers doctoraux, revenir sur la manière dont, pour décrire diverses unités de la vie en communauté (cité, communauté, état, société), a été utilisée l’image du corps et ses différentes déclinaisons (organisme et organes, santé et maladies, vie et mort). Cette image semble traverser l’histoire de la philosophie et des sciences sociales. Elle est tout d’abord fondamentale pour la pensée politique antique et classique qui se représente à travers elle quelque chose comme la cohésion de l’édifice politique : l’équilibre entre les différentes classes dans la cité platonicienne, pensées par analogie avec les parties de l’âme, la structure interne de l’État ou le chaos de la guerre civile, comparés aux deux monstres bibliques, le Léviathan et le Béhémoth, chez Hobbes. Plus tard, le recours à cette même image donnera à la sociologie naissante un certain nombre des éléments de sa méthode : un précurseur comme Saint-Simon trouve en effet son inspiration notamment dans la physiologie, et un fondateur comme Durkheim pense la division du travail sur le modèle de la répartition des fonctions au sein de l’organisme. Et c’est ainsi qu’elle contribue au développement du fonctionnalisme, en sociologie comme en anthropologie, en lui donnant avec la notion centrale de fonction, une manière de se représenter la partie en relation avec la totalité : chaque institution ou phénomène social est alors conçu sur le mode d’un organe assurant une fonction vitale à la perpétuation du tout. Enfin, l’emploi de cette image est loin de s’essouffler au XXe siècle, il connaît au contraire de nouveaux développements : par exemple du côté du freudo-marxisme avec la notion d’inconscient collectif, mais également dans la notion foucaldienne de biopouvoir conçue comme réponse à des épidémies dont les répercussions ne se font pas seulement sentir au niveau des individus mais frappent une population dans son ensemble, ou encore avec le recours au terme médical de pathologie, dite sociale, chez Honneth. Plus largement, cette image semble à l’origine d’un grand nombre de termes à connotation biologique permettant de se représenter la nature du social ou de ses parties, comme en témoigne notamment la notion de reproduction renvoyant entre autres, dans le vocabulaire marxiste, à la permanence d’une formation sociale et, chez les bourdieusiens, à celle d’un groupe spécifique. Le retour constant de cette image du corps dans des traditions radicalement différentes les unes des autres est d’autant plus étonnant qu’il a rarement fait l’objet d’une explicitation directe. Or le recours au vocabulaire biologique ou organique nous semble devoir être interrogé suivant plusieurs axes. Sa fécondité, tout d’abord, en se demandant ce que le rapprochement entre le corps et la société permet de mettre en évidence. Son statut épistémologique ensuite, en s’interrogeant sur la nature de cette image, qu’il s’agisse d’une assimilation pure et simple, d’une métaphore visant à distinguer deux types d’unités organiques ou encore d’une analogie visant à rapprocher deux formes de la relation entre totalité et parties. Sa signification pour une théorie de la société, également, suivant qu’elle constitue un ensemble de résultats bien déterminés, une méthode de recherche, d’invention ou d’exposition. L’ensemble des enjeux qui sous-tendent son utilisation, enfin, lorsque son emploi relève de la rhétorique ou même de l’idéologie.