Résumé de la conférence de Michaela Fabra

Fins de vies ou fin d’une vie ? – valeurs et enjeux identitaires dans le système néolibéral

Michaela Fabre

(médecin responsable de l’USP du CH Émile Roux au Puy)

Résumé

La fin de vie et la mort, bien que complémentaires comme événements, sont irréductibles l’une à l’autre comme dimensions. Si la mort interpelle les rapports sociaux des vivants face à l’ambiguïté d’une absence mais présence autre et qui demande un statut (Patrick Baudry), la fin de vie interroge l’identité morale contemporaine par le biais des valeurs que le sujet social regardant se donne à lui-même comme horizon d’humanité et de Vie Bonne, dans un espace arendtien où les limites de l’accepté et du défendu sont devenues floues. Quand celui qui ne peut plus guérir dit « je ne sers plus à rien », il signifie en même temps qu’il a accepté ce que la société lui a assigné comme finalité à la place du fait d’être juste quelqu’un, une potentialité capable d’espérance et de création du sens, voir d’être sens en lui-même, pour illustrer pourquoi « seul l’homme meurt, l’animal périt » (Heidegger).

La formulation « comment (mieux) mourir ?» du débat sociétal révèle une contraction de plusieurs domaines épistémologiques : l’agir de l’éthique, le Bien comme morale (Ch. Taylor, Aristote), la finitude comme interpellation de l’existence, la politique et en son sein la santé au sens large comme autant de domaines de jonction entre la singularité apophatique et la pluralité. Attendue plutôt au niveau du choix de la méthode et du moyen et souhaitée apte à une transcription normative rassurante, la facilité de la réponse se brise sur l’adverbe qui interroge l’identité morale de la société dans son ensemble. Car si la lecture du sens se fait à la 1ère personne du singulier, elle s’éclaire sous le regard de la société et finalement du politique lorsque je la pense de l’extérieur, à la 3ème personne, et alors l’unicité s’efface dans le nombre, qui lui s’y prête à la conceptualisation dépersonnalisée et à l’élaboration des stratégies d’actions jugées efficaces dans une réalité sociopolitique qui met un prix sur tout dont le temps de la vie (Michel Sandel).

Les valeurs véhiculées dans le débat font appel à l’intuition et à l’émotion génératrices d’expérience morale (Ch. Taylor, Marta Spranzi), éminemment intimes et subjectives et par conséquent inaptes à la standardisation normative. Le langage est glissant, le Bien est remplacé par le bien-être consumériste et ainsi de suite. Tout cela créé des dissymétries superposées et intriquées liées à la dimension existentielle contemporaine du choix et de la préférence (Kenneth Arrow, Amartya Sen).

La fin de vie a été confiée à la médecine, considérée garante pour l’acte mais aussi investie d’une aura d’humanisme intrinsèque. Devenue un méta-domaine à la confluence des sciences et des technologies de pointe, elle a ébranlé l’ineffabilité. Quant à la consultation éthique, dans les hôpitaux français elle ne concerne que des situations particulières, la grande majorité des souffrants (la vie anonyme) n’incitant pas les médecins au doute moral, la décision en situation étant le plus souvent la résultante d’une manière de pensée on-off (réanimation ou sédation profonde et continue ?), sous la couverture du choix improbable d’un patient dont l’état peut facilement et souvent prêter à l’erreur d’interprétation en cas d’indifférence morale, ce qui bouscule les principes réinterprétés d’égalité de chance et du respect de la différence (J. Rawls).

Le débat sur la fin de vie ne nous parle pas de ceux qui vont partir mais de nous -mêmes, en ce que nous concédons d’être sans étonnement, à la confluence des confusions et à l’intérieur des systèmes étatiques imbriqués dont nous sommes créateurs et acteurs, en nous laissant le choix d’une désobéissance morale d’essence.