Réfléchir la présence du professeur. Analyse critique de l’opposition « présentiel/distanciel »
Michaël Crevoisier
Présentation du cours De quelle manière un professeur est-il « présent » lorsqu’il enseigne ? Suffit-il qu’il ne soit pas absent, c’est-à-dire présent ici-et-maintenant, pour être là ? N’est-on pas toujours plus ou moins là quand nous sommes avec quelqu’un et, a fortiori, lorsque nous lui transmettons un savoir ? Or, que signifie « ici-et-maintenant » si l’on accepte une telle différence de degrés ? De plus, il est certainement possible d’identifier différents types de présence, avec pour idée que la présence enseignante désignerait une qualité spécifique, requise pour que l’expérience du cours ait réellement lieu. Dans ce cas, de quelle qualité la présence doit-elle se trouver dotée pour que le professeur soit là en tant que tel, pour qu’il apparaisse comme effectivement autorisé à parler au nom de la vérité de ce qu’il enseigne ? Ce questionnement théorique sur l’opposition entre la présence et l’absence appartient à la longue histoire de la métaphysique, mais il appartient également à l’expérience banale de celui ou celle qui, entre l’ennui et la fascination, l’attente et l’événement, commence à réfléchir les modalités de ce qui est présent à l’esprit. La situation d’enseignement est l’une de ces expériences parmi les plus propices à une telle réflexion ; à partir de l’histoire de la métaphysique et, en même temps, de ce qui arrive à la manière dont l’enseignement a lieu, nous chercherons à analyser et à réfléchir la présence du professeur. Le fil directeur de la réflexion nous est donné par la situation présente (dont il nous faudra interroger la singularité que nous présupposons ici) : dans l’enseignement, il est actuellement possible que les cours aient lieu « à distance », ainsi la « présence » du professeur se modaliserait par l’opposition stricte entre le « présentiel » et le « distanciel ». En même temps, dans le discours philosophique, la critique du concept de présence (et les oppositions dichotomiques qu’elle permet de structurer) apparaît comme un point de départ pour la réflexion chez bon nombre d’auteurs qui, attentifs aux évolutions des sciences, des techniques et des arts, constatent son incohérence. Nous mobiliserons certains de ces auteurs afin que notre analyse de ce qui arrive à l’enseignement évite le piège des oppositions naïves, tout en prenant en compte ce que les notions de « présentiel » et de « distanciel » pointent de possiblement nouveau, afin de poursuivre cette réflexion critique. Un point de cristallisation du problème de la « présence » du professeur semble tenir à la « nouveauté » technologique de la situation, comme si la distance (et donc la « présence ») du professeur était relative au régime technique dans lequel l’enseignement a lieu. Le professeur pouvant désormais apparaître sur un écran, là où ont lieu la voix, le corps, le cours, l’institution, et les médiations qui rendent possible cet avoir-lieu, se transforment. Avec cette hypothèse, le problème se précise : il s’agit d’analyser en quoi les nouvelles images que les télé-technologies nous proposent peuvent donner lieu à un cours, comment un professeur peut y apparaître, ou, plus radicalement, si de nouvelles manières d’être professeur s’y donnent à réfléchir. Dans ce cours, nous partirons de cette hypothèse car, in situ, peut-être sera-t-elle la seule envisageable pour espérer qu’une analyse critique de la situation reste encore possible.- Bibliographie – Aristote, Physique, traduit du grec ancien par Pierre Pellegrin, Paris, GF, coll. « Philosophie », 1999, Livre IV, Ch. 1-5, 10-14. – Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, coll. « Cahier du Cinéma », 1980. – André Bazin, « Ontologie de l’image enregistrée » et « Théâtre et cinéma » dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Cerf, coll. « 7e Art », 2011 (20e éd.), respectivement pp. 9-17 et 129-178. – Walter Benjmain, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Paris, Payot & Rivages, 2013. (pour une édition enrichie des brouillons : Écrits français, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1991, pp. 149-248). – Henri Bergson, Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit, Paris, GF, 2012 (rééd.), Chap. III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit. – Jacques Derrida, « Où commence et comment finit un corps enseignant » dans Du droit à la philosophie, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1990, pp. 111-153. – Jacques Derrida, « Ousia et grammè. Note sur une note de Sein und Zeit. » et « La mythologie blanche. La métaphore dans le texte philosophique » dans Marges de la philosophie, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1972, respectivement pp. 31-78 et 247-324. – Jacques Derrida, La voix et le phénomène, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2009 (rééd.). – Jacques Derrida et Bernard Stiegler, Échographies de la télévision. Entretiens filmés, Paris, Galilée-INA, coll. « Débats »,1996. – Claude Pujade-Renaud, Le corps de l’enseignant dans la classe, Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire»,2005.