Y4HPH6U3 (2024-2025) : Philosophie morale et politique 2, L3, S6 (P. Roy)

Cours de « Philosophie morale et politique 2 » (Y4HPH6U3) en L3 Second semestre

Mal et narcissisme

La liberté pour le Mal prend-elle appui sur le narcissisme ? La proposition peut sembler discutable car si le mythe de Narcisse est ancien, le narcissisme est un concept récent, venant de la psychanalyse (Freud) et, avant elle, de la psychiatrie et de la criminologie (Paul Näcke a forgé le terme pour commenter une idée qu’il a trouvée chez H.Ellis). Les psychiatres actuels l’associent au Mal pour analyser le passage à l’acte de tueurs en série en évoquant, entre autres, une orgie narcissique (Daniel Zagury). Le narcissisme est donc peut-être un concept qui ne prend son sens que dans les conditions historiques où il a émergé et est employé. Pourtant, dans une intention philosophique plus universelle, n’est-ce pas ce qu’Augustin appelait « orgueil » pour analyser ce qui conditionne le « choix » du Mal ? Pour Kant, le Mal ne provient-il pas de la subordination de nos maximes, que requiert la loi morale, à l’amour de soi ? Ou encore, Heidegger dans son commentaire du traité sur l’essence de la liberté humaine de Schelling peut écrire : « Au sein de la méchanceté réside donc l’appétition de la passion-égocentrique qui, dans son avidité d’être tout, dissout davantage tous les liens jusqu’à ce qu’elle s’effondre dans la nullité ». On verra aussi le lien entre Mal et narcissisme chez Hegel. Ceci demandera avant de faire un retour à Freud pour analyser quelles sont la place et la fonction du narcissisme dans la constitution psychique et pourquoi il peut devenir pathologique. Surtout nous examinerons comment s’articulent chez Freud narcissisme et pulsion de mort pour rendre possible le Mal. « Là où la pulsion de mort survient sans visée sexuelle, y compris dans la rage de destruction la plus aveugle, on ne peut méconnaître que sa satisfaction est connectée à une jouissance narcissique extraordinairement élevée, du fait qu’elle fait voir au moi ses anciens souhaits de toute-puissance accomplis. » (Freud, Le malaise dans la culture) Le narcissisme peut-il être élevé au rang d’un concept universel pour penser le Mal ?

Notre questionnement, afin d’amorcer une réponse à ce problème, ne se cantonnera pas seulement dans le champ moral puisqu’il se posera aussi dans le champ politique. Le narcissisme peut-il être un opérateur pour penser le Mal en politique ? Par exemple, peut-on renvoyer le Mal en politique au narcissisme des gouvernants ou même des gouvernés ou encore au narcissisme d’une entité-identité collective ? Il s’agira donc aussi de questionner si cela a un sens de parler d’un narcissisme collectif ou encore si le narcissisme n’est pas un mal de nos sociétés capitalistes (et ne prétendrait donc pas à une lecture plus étendue). Il est étonnant que le concept de narcissisme primaire que Freud mobilise ait pu être pensé chez nombre de philosophes sous une forme ontologique , narcissisme de l’Être et non du Moi, sans qu’y soit associé le Mal et même plutôt le Bien (le Mal provenant aussi chez ces philosophes du narcissisme individuel) ? Dès lors, comment s’articulent le narcissisme ontologique et le narcissisme individuel et pourquoi cette articulation peut-elle rendre possible le Mal ?

Bibliographie sommaire :

Augustin (saint), « Le libre arbitre » dans Dialogues philosophiques, Desclée de Brouwer, 1955.

Deleuze Gilles, Différence et répétition, PUF, 1968.

Deleuze Gilles, Guattari Félix, L’Anti-Oedipe, Les Éditions de Minuit, 1972.

Deleuze Gilles, Présentation de Sacher-Masoch, Les Éditions de Minuit, 1967.

Kant, La Religion dans les limites de la simple raison, première partie, Vrin, 2000.

Freud, Le malaise dans la culture, PUF, 1995.

Freud, Pour introduire le narcissisme, Payot, 2012.

Heidegger, Schelling. Le traité de 1809 sur l’essence de la liberté humaine, Gallimard, 1977.

Lasch Christopher, La culture du narcissisme, Flammarion, 2018.

Roustang François, Infuence, Les Éditions de Minuit, 1990.

Schelling, La liberté humaine, Vrin, 1988.

Zagury Daniel, « Tueurs en série et acteurs de génocide (pour que tuer devienne facile) », Revue Topique, n°117, 2011 (en ligne sur internet).

Filmographie sommaire :

Taxi Driver de Martin Scorsese (1976).

Tueurs nés (Natural Born Killers) d’Oliver Stone (1994).