Conférence de Michaël Crevoisier mercredi 28 septembre 2022

Le laboratoire Logiques de l’Agir a le plaisir de vous convier à son séminaire mercredi 28 septembre 2022 à 18h00 au Grand Salon, 18 rue Chifflet à Besançon. Nous recevrons Michaël Crevoisier, qui prononcera une conférence inaugurale intitulée :

Esquisse pour une philosophie des pratiques esthétiques : éléments méthodologiques et programme de recherche

Résumé

L’avènement du questionnement esthétique dans la philosophie de l’art a placé l’expérience subjective au centre de la réflexion : Quels émotions l’art procure-t-il ? Qui peut en faire l’expérience ? Selon quelles conditions de possibilités ? Dans cette perspective, les sciences humaines et sociales ont poursuivi la réflexion en mettant au jour la réalité cognitive de ces émotions ainsi que leurs conditions sociales. La sociologie en particulier a montré que l’analyse des pratiques esthétiques permettait d’interroger la genèse différenciée des jugements de goût et la manière dont la réception esthétique en général se constitue. En conséquence, les concepts classiques de la philosophie de l’art paraissent fragilisés dans leur prétention à rendre raison de l’expérience esthétique comme s’il s’agissait d’une expérience pure d’un sujet universel. Pour autant, admettre que l’expérience esthétique en matière d’art est celle d’un sujet pratique n’implique pas nécessairement d’en réduire la compréhension à sa seule origine génétique – qu’on la situe dans le social ou dans le cerveau. C’est là l’enjeu de cette conférence : tenir l’idée que l’objectif d’une philosophie des pratiques esthétiques n’est pas de refonder la conceptualité philosophique sur un sol empirique, mais de prendre en considération ce qu’il y a de nouveau dans les pratiques esthétiques dans le but de relancer la réflexion sur ce qui a dû en conditionner la possibilité. Mon propos ne consistera pas à atteindre cet objectif, à proposer une analyse philosophique des pratiques esthétiques, mais à en esquisser la méthode et les thèmes. En ce sens, j’aborderai deux problèmes et proposerai pour chacun, de manière programmatique, un axe de recherche :

  1. Le premier problème est donc d’ordre méthodologique : comment articuler une analyse qui doit en même temps se diriger vers la réalité empirique des pratiques (quelles nouvelles expériences esthétiques l’évolution des pratiques donne-t-elle à réfléchir ?) et vers les conditions de possibilité qui caractérisent le sujet (comment doit être constitué un sujet capable de telles expériences ?) ? La difficulté réside dans la nécessité de situer la réflexion sur une ligne de crête entre le primat pratique de l’empiricité de l’expérience et le primat théorique de la transcendantalité des conditions de possibilité. Je montrerai qu’un axe de résolution possible consiste à penser le milieu technique comme à la fois un ensemble d’objets concrets que l’analyse des pratiques permet d’identifier et de décrire, et comme ce à travers quoi la subjectivité se constitue.
  2. Le second problème est d’ordre thématique : quelles pratiques esthétiques la réflexion doit-elle prendre en considération ? Bien que pour nous l’enjeu consiste à apprécier de nouvelles expériences esthétiques, il serait insuffisant de s’en tenir à des critères quantitatifs identifiant des pratiques devenues majoritaires. Ce qui importe est que la nouveauté de ces pratiques mette en lumière une insuffisance, un trouble, dans les catégories jusqu’alors invoquées comme condition d’intelligibilité des expériences esthétiques en général. Je m’intéresserai en particulier à la catégorie de la passivité à partir de laquelle est traditionnellement pensée la réceptivité du sujet esthétique, dans son opposition à la productivité de l’artiste. À partir de l’analyse de deux pratiques esthétiques, celles du jeu vidéo et de l’exploration des œuvres du Land Art, je mettrai en évidence le type d’activité impliqué dans la nouveauté des expériences qui caractérisent ces pratiques et en quoi leur prise en considération nécessite une modification de notre compréhension d’un concept classique de la philosophie de l’art : le sublime.

Michaël Crevoisier est maître de conférences en philosophie à l’université de Franche-Comté.