VHP3U3 (2022-2023) Métaphysique : grandes controverses, L2, S3 (Ph. Roy)

Le désir : manque ou excès ?

Philippe Roy

 

S’engager dans un questionnement sur le désir semble ne pas être un problème concernant l’être en tant qu’être. Qu’y aurait-il de métaphysique dans l’idée que les désirs mettent en mouvement notre corps et/ou notre âme (et ce qu’il se produit en elle : effets de langage, idées, affects, images, phantasmes) ? Si problème il y a, il serait plutôt éthique. Quels sont les bons et les mauvais désirs ? Faut-il maîtriser ses désirs et comment ? etc. Or, la pensée de ce qui conditionne ce mouvement du désir nous ramène à grands pas vers des distinctions ontologiques. En effet, le désir n’est-il pas fondé sur un manque à combler, voire sur un manque d’être fondamental (Sartre) ou au contraire n’est-ce pas un excès d’être (par exemple la volonté de puissance pour Nietzsche) ? Doit-on parler du désir ou n’y a-t-il que des désirs, avons-nous affaire à métaphysique de l’Un ou du Multiple ? Le désir a-t-il un objet (manquant) ou est-il un processus (excès qui nous pousse) ? Mais que cela change-t-il au juste de penser le désir comme manque ou comme excès ? N’est-ce pas retrouver sous cet angle la question éthique : quelle différence y a-t-il entre le désir vécu comme manque et le désir vécu comme excès ? Orientations éthique et ontologique au sujet du désir se croisent ici, justifiant peut-être le poids qu’ont pu prendre certaines controverses (rappelons-nous celle de Calliclès et Socrate dans Gorgias de Platon). Le désir n’est-il pas lié au défaut (manque) de la nature humaine comparée à Dieu (Descartes, Méditations métaphysiques) ou le désir est-il une production de la puissance divine qui l’excède (Spinoza) ? Morale de la volonté ou éthique de la libre nécessité ? Le statut du désir ne dépend-il pas de l’interprétation de la souffrance ? (Schopenhauer pour le manque versus Nietzsche pour l’excès). La controverse qu’il y a eu entre Deleuze-Guattari et l’approche psychanalytique en serait encore le signe : « Désir, qui, sauf les prêtres, voudrait appeler cela « manque » ? Nietzsche l’appelait Volonté de puissance. On peut l’appeler autrement. Par exemple, grâce. Désirer n’est pas du tout une chose facile, mais justement parce qu’il donne, au lieu de manquer, « vertu qui donne ». Ceux qui lient le désir au manque, la longue cohorte des chanteurs de la castration, témoignent bien d’un long ressentiment comme d’une interminable mauvaise conscience ». (Gilles Deleuze, Claire Parnet, Dialogues) Mais cette critique n’est-elle pas hâtive ? : La pulsion freudienne prend plus sa source avec une poussée excessive qu’en étant tendue vers un objet de satisfaction dont elle manquerait, le Ça est même comme « une marmite pleine d’impulsions bouillonnantes » (Freud, Nouvelles conférences). Renaud Barbaras a repris dernièrement cette question, mettant en avant l’excès et non le manque « Le propre du désir est bien que sa portée excède celle de tout objet possible, qu’il n’est donc pas un désir d’objet, ce qui revient à dire qu’il est au-delà de tout manque. » (Le désir et le monde) En quoi, cette controverse a encore toute son actualité.

Bibliographie préparatoire (non exhaustive)

Barbaras (Renaud), Le désir et le monde, Hermann, 2016.

Deleuze, Parnet, Dialogues, partie 2, Flammarion, 1996.

Freud, Pulsions et destins des pulsions, In Press, 2017.

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, prologue et partie 3, Flammarion, 1996.

Platon, Gorgias, dialogue entre Socrate et Calliclès, Flammarion, 2007.

Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation, livre quatrième, PUF, 2015.

Sartre, L’Être et le néant, deuxième partie, chapitre premier.

Spinoza, Éthique, partie 3, Éditions de l’éclat, 2007.