VHP7U2 : Philosophie des crises contemporaines, M1, S7 (C. Widmaier)

Le commun

Carole Widmaier

Résumé

Nous vivons sans conteste ce que nous pouvons appeler, selon les termes de Dardot et Laval, une « tragédie du non-commun » : sentiment d’impuissance politique face à l’accroissement des inégalités, individualisation des situations de souffrance au travail, perte de confiance dans la capacité des États à réguler la marche du capitalisme mondialisé, faiblesse de la représentation démocratique, déréliction sans retour de l’idée d’un communisme étatique, angoisse et paralysie devant l’urgence écologique qui pose la question de la nature de nos relations avec l’ensemble du monde vivant, tentation de l’abandon de l’agir politique ou du repli dans des utopies concrètes. Le commun est par excellence ce qui actuellement manque, ce qui nous manque, et ce qu’il apparaît nécessaire d’instituer pour envisager des contre-forces face à la logique du capitalisme mondialisé, qui semble ne laisser que peu de marges de résistance et interdire toute perspective révolutionnaire.

Comment alors penser le commun pour en faire non seulement un principe d’organisation sociale des rapports, mais bien un principe de pensée et d’action politique ? Comment la philosophie, dans sa tradition et son histoire, est-elle susceptible de nous offrir des ressources au sein de cette situation de crise, dont l’urgence semble s’imposer à tous comme une vérité qui confronte l’exigence d’un « il faut » à la paralysie du « nous ne pouvons rien » ?

La difficulté se redouble lorsque l’on comprend que le tout de la philosophie, comme d’ailleurs le tout de la vie, est en réalité traversé par cette question toujours ouverte du commun. La seule voie possible réside alors, même si ce n’est qu’une étape, dans un travail précis et rigoureux des sens très différents que le « commun » est amené à prendre au sein des grandes conceptualisations philosophiques. Il s’agit de repenser le commun, notamment dans son opposition à l’individuel et au propre, ainsi que dans sa différence avec l’universel et le collectif.

Y a-t-il un partage ontologique entre le commun et le non-commun ? Quels seraient alors les critères d’un tel partage ? Le commun ne serait-il pas toujours à construire, ne résulte-t-il pas nécessairement d’une « mise en commun » ? Mais alors, de quoi peut-on partir, et vers quoi peut-on aller ? À quoi et de quoi le commun est-il commun ? Cette distinction entre partage ontologique et processus de mise en commun n’est-elle pas vaine ? Ne faut-il pas la reconsidérer sous les perspectives elles-mêmes plurielles du bien commun, du sens commun et du monde commun ?

Nous tenterons, dans ce parcours nécessairement partiel, dont la visée sera de formuler des ébauches de réponses à la crise contemporaine, de saisir comment les communs et le commun ont pu être très diversement définis et appréhendés, valorisés ou craints, en cheminant dans les théories de la souveraineté et de la propriété ainsi que dans les pensées anarchiste et communiste, entre constitution étatique et émancipation vis-à-vis de l’État.

Le propos relèvera donc essentiellement de la pensée politique, mais dans son articulation avec le social, l’économique et le juridique, et il fera toujours signe vers des considérations ontologiques et épistémologiques.

Nous formulerons l’hypothèse selon laquelle le commun se manifeste toujours comme ce qui manque ou fait défaut, défaut inhérent au fait même de la pluralité et auquel il convient de se relier constamment en créant les conditions optimales de sa circulation et de son partage.

Ce cours est mutualisé avec la préparation du concours de l’Agrégation externe de philosophie (épreuve écrite de dissertation sur thème).

Bibliographie (les ouvrages en gras sont à lire en priorité)

– Hannah Arendt,        Condition de l’homme moderne, Presses Pocket Agora, 1983

La crise de la culture, Gallimard, Folio Essais, 1972

Qu’est-ce que la politique ?, Seuil, L’ordre philosophique, 2014

« Compréhension et politique » in La nature du totalitarisme, Payot, 1990

Juger. Sur la philosophie politique de Kant, Seuil, 1991

– Aristote,       Les Politiques, GF, 1993

Éthique à Nicomaque, GF, 2004

– Jean Bodin, Les Six Livres de la République, I, chap. 1, Livre de Poche, 1993

– Pierre Charbonnier, Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, La Découverte, 2019

– Marie-Alice Chardeaux, Les choses communes, LGDJ, 2006

– Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Seuil, Points Essais, 1999

Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, La Découverte, 2014

– Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Éditions de Minuit, 1980

– Philippe Descola, La composition des mondes, Champs Flammarion, 2017

– Émile Durkheim, Le socialisme, PUF Quadrige, 1992

– Roberto Esposito, Communauté, immunité, biopolitique. Repenser les termes de la politique, Mimésis, 2019

– Michel Foucault, Il faut défendre la société. Cours au Collège de France 1976, EHESS/Gallimard/Seuil, 1997

– Michael Hardt et Antonio Negri,     Multitude, La Découverte, 2004

Commonwealth, Stock, 2012

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Principes de la philosophie du droit, PUF, 1998

Karl Marx et Friedrich Engels,    Manifeste du parti communiste (1848), Librairie générale française, 2004

L’idéologie allemande, Éditions sociales, 1968

– Karl Marx, Le capital, I, Gallimard, Folio Essais, 2008

Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?, Librairie générale française, 2009

– Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, GF, 2001

– Platon,          La République, GF, 2016

                        Les Lois, GF, 2006

– Baruch Spinoza, Traité théologico-politique ; Éthique ; Traité politique, GF