VHP9U2 (2021-2022) : Épistémologie des sciences sociales, M2, S9 (A. Mace)

Anthropologie de la nature

Arnaud Macé

Résumé

Depuis plus d’une vingtaine d’années, ce que l’on a appelé « l’anthropologie de la nature » a été associé à ce que l’on a encore appelé le « tournant ontologique » de l’anthropologie. On désigne par là une entreprise de reformulation de l’objet de l’anthropologie qui lui permette de considérer que chaque collectif humain est producteur d’une manière propre de déterminer et de distribuer ce à quoi il reconnaît une existence ; c’est cela que l’on appellera un « monde » ou une « ontologie ». L’anthropologie devient alors l’étude de toutes les manières de construire de telles ontologies à partir de la diversité des relations pratiques qu’entretiennent les collectifs humains avec leur environnement. Ce pluralisme ontologique conteste la prétention des catégories qui ont accompagné le développement des sciences occidentales à jouer un rôle universel, puisqu’elles doivent elles aussi être reconnues comme relevant d’une ontologie particulière. On mesure alors l’intimité du lien qui unit « tournant ontologique » et « anthropologie de la nature » : la « nature » étant perçue comme la catégorie occidentale portant la plus large prétention à l’universalité – la nature humaine étant placée par-delà la diversité des cultures –, l’entreprise d’en faire la genèse à partir des agencements spécifiques aux ontologies des collectifs de l’aire européenne s’impose comme la tâche fondamentale de restauration du pluralisme ontologique. La nature devient ainsi le produit d’une histoire, elle n’est plus qu’une manière parmi les autres de distribuer les êtres, par « la répartition des êtres et des phénomènes entre l’universalité des lois de la nature et la contingence des productions humaines » ; comme telle, elle ne doit être considérée que comme un agencement particulier, qui a certes accompagné la révolution scientifique, mais « n’a en revanche été démontrée de façon satisfaisante par aucune science officielle » (Descola 2006).

Une telle entreprise menait nécessairement l’anthropologie sur les terres de l’anthropologie historique, et même plus spécifiquement de l’anthropologie historique de la Grèce ancienne. « Tout commence en Grèce, comme d’habitude », et tout particulièrement lorsque l’on veut tracer l’émergence des catégories qui ont accompagné le développement des sciences et des techniques en Europe. C’est vers les Grecs qu’il fallait remonter pour trouver la source d’une obsession occidentale qui a fait de la « nature » – qui aimait à se cacher à l’époque derrière le terme grec phusis – un mot qui s’invite partout.

Le présent cours est consiste en une introduction aux problèmes fondamentaux et aux concepts de l’anthropologie de la nature. Elle replace celle-ci dans l’histoire longue de l’émergence du concept de nature, afin de discuter les rythmes et les césures de cette histoire, qui reste peut-être en grande partie à faire ou à refaire. Ainsi l’apparition de la nature est peut-être un mouvement plus profond que celui que l’on rattache souvent dans cette tradition à la Renaissance européenne, et plus culturellement plus diffus, au-delà des frontières strictes de l’ “Occident”.

[en guise de préliminaire, on pourra lire ce texte, dont sont extraits les paragraphes d’introduction ci-dessus]

Bibliographie [développée sur moodle dès la rentrée]

  • P. Charbonnier, La fin d’un grand partage. Nature et société de Durkheim à Descola, CNRS éditions, Paris, 2015.
  • P. Charbonnier, P. Skafish, et G. Salmon, (éds.), Comparative Metaphysics. Ontology after Anthropology, Lanham, Rowman & Littlefield International, 2017.
  • P. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
  • P. Descola, « Soyez réalistes, demandez l’impossible », L’Homme, n° 177-178, no 1, 2006, p. 429‑434.
  • P. Descola, « Notre nature si singulière. Un entretien avec Philippe Descola », in S. Haber et A. Macé (éds.), Anciens et Modernes par-delà nature et société, Presses universitaires de Franche-Comté, 2012, p. 21‑45.
  • A. G. Haudricourt, « Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d’autrui », L’Homme, vol. 2, no 1, 1 janvier 1962, p. 40‑50.
  • Y. Hui, The question concerning technology in China: an essay in cosmotechnics, Falmouth, Urbanomic Media Ltd, 2016 ; version française : Y. Hui, La question de la technique en Chine : essai de cosmotechnique, trad. par A. Taillard, Paris, Editions divergences, 2021.
  • B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes: essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
  • B. Latour, Politiques de la nature : comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, Éd. la Découverte, 1999.
  • B. Latour, Face à Gaïa, Paris, La Découverte, 2015.
  • G. E. R. Lloyd, « The Invention of Nature », in Methods and problems in Greek science, Cambridge, 1991, p. 417‑434.
  • A. Macé, « La naissance de la nature en Grèce ancienne », in S. Haber et A. Macé (éds.), Anciens et Modernes par-delà nature et société, Besançon, France, Presses universitaires de Franche-Comté, 2012, p. 47‑84.
  • A. Macé, « Nature among the Greeks: Empirical Philology and the Ontological Turn in Historical Anthropology », in P. Charbonnier, P. Skafish et G. Salmon (éds.), Comparative Metaphysics. Ontology after Anthropology, Lanham, Rowman & Littlefield International, 2016, p. 201‑220.