VHP9U2 (2022-2023) Épistémologie des sciences sociales, M2, S9 (A. Macé)

Anthropologie du soi et de l’intériorité en Grèce ancienne

Arnaud Macé

 

En abordant l’étude de la Grèce ancienne, l’anthropologie historique a fait l’hypothèse qu’il fallait renoncer à y chercher une conception du moi ou de la personne telle qu’elle apparaît dans la modernité, c’est-à-dire munie d’un corps et d’un esprit qui constituent l’un et l’autre des unités fonctionnelles, susceptibles d’une multiplicité d’interactions complexes. B. Snell rapprochait les figures humaines dessinées à l’époque géométrique en Grèce ancienne et le dessin des enfants du XXe siècle, en affirmant que l’on constatait dans les deux cas cette absence du corps « unitaire-organique », « fonctionnel », au profit d’une articulation de membres et de muscles, saisis dans la diversité de leurs états, de leurs efforts et de leurs affections (1948, p. 20-21). En 1970, Adkins décrivait lui aussi la pensée archaïque comme résolument ancrée dans une multiplicité sans unité. Cherchant à éviter le risque de l’anachronisme et de la projection, l’anthropologie doit aussi éviter de surestimer l’altérité des conceptions du collectif qu’elle étudie. A proclamer le caractère disséminé du sujet ancien, l’inexistence du « moi » et de « l’intériorité » en Grèce ancienne, est-ce que l’on n’échouait pas en réalité à comprendre d’autres manières que les nôtres de produire l’unité de la personne et de l’esprit ? Ce cours se propose d’explorer la manière dont l’anthropologie historique de la Grèce ancienne a progressivement modifié son approche des textes anciens pour apprendre à voir un autre ordre et une autre consistance là où elle n’avait d’abord vu qu’une absence. On s’intéressera à la manière dont cette évolution est le fruit d’une intégration plus large des disciplines collaborant à l’enquête anthropologique, de la philologie aux sciences cognitives.

Bibliographie

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