Pour une ‘poétique’ des analogies botaniques dans Hippocrate, Sur le développement de l’enfant et Maladies IV
Alessandro Buccheri (LabEx Hastec, Centre Jean Pépin)
Résumé« Quiconque veut considérer les discours que j’ai tenus à ce propos, trouvera que, de leur début jusqu’à leur accomplissement, la croissance des plantes et celle des hommes se ressemblent fortement »1. C’est ainsi que s’exprime, vers la fin du Ve siècle avant notre ère, l’auteur du texte hippocratique Sur le développement de l’enfant après avoir consacré quasiment un tiers de son traité à la description des mécanismes de croissance des plantes2. Le développement des êtres humains est à l’image de celui des plantes : c’est ainsi que les connaissances botaniques peuvent être introduites – voire longuement déployées – dans un texte qui vise à expliquer le développement de l’enfant, depuis l’état embryonnaire jusqu’à la naissance et la prime enfance3. Le traité Maladies IV, vraisemblablement écrit par le même auteur, a également recours à une analogie botanique. Dans ce texte, la nutrition des plantes est prise à modèle pour appuyer une certaine description des mécanismes de la nutrition humaine4.
Cette manière d’établir des analogies entre la croissance végétale et le développement ou la physiologie humaine n’est pas isolée dans les écrits médicaux et philosophiques5, qui utilisent le monde des plantes comme réservoir de modèles utiles pour penser un grand nombre de phénomènes relatifs à la vie des hommes, allant de l’embryologie à la parenté6. Néanmoins, des modèles analogiques similaires, fondés sur une projection de connaissances botaniques sur l’anatomie ou la physiologie humaines, ne sont pas l’apanage de seuls philosophes ou médecins : ils avaient déjà été développés dans la poésie grecque archaïque, dès l’Iliade et l’Odyssée7.
En adaptant le cadre théorique développé par Fernand Hallyn dans son travail sur la « poétique » de l’hypothèse scientifique de Copernic à Kepler8, j’analyserai les analogies botaniques au sein des traités Sur le développement de l’enfant et Maladies IV, en montrant comment ces deux textes s’approprient et retravaillent des modèles analogiques déjà en place dans la poésie des siècles précédents.
1 Hippocrate, Sur le développement de l’enfant 27 Joly. 2 Ibid., 22-27.3 Sur cette analogie, voir maintenant B. Holmes, « Pure Life: The Limits of the Vegetal Analogy in the Hippocratics and Galen », dans J.Z. Wee (éd), The Comparable Body. Analogy and Metaphor in Ancient Mesopotamian, Egyptian, and Greco-Roman Medicine, Leiden – Boston, 2007, p. 358-386 ;
4 Hippocrate, Maladies IV 33-34.5 Voir L. Repici, Nature Silenziose. Le piante nel pensiero ellenistico e romano, Bologna, 2015 et Uomini Capovolti. Le piante nel pensiero dei Greci, Bari – Roma, 2000 ; G.E.R. Lloyd, Polarity and Analogy, Bristol, 1966, p. 52-55, 232-272, 323-372 passim.
6 Voir p.ex. Philolaos de Croton, fr. 32 B13 D.-K. ; Démocrite, fr. 55 A144 D.-K. ; Hippocrate, Sur le fœtus de huit mois 12 ; Aristote, Rhéthorique 2.16 1390b23-29.
7 A. Buccheri, Penser les hommes à travers les plantes. Images végétales de l’humain en Grèce ancienne. Thèse soutenue à l’EHESS le 14 octobre 2017, sous la direction de M. Bettini (Univ. Sienne) et F. Ildefonse (CNRS – EHESS).
8 F. Hallyn, La structure poétique du monde. Copernic, Kepler, Paris, 1987. Voir aussi Id., Les structures rhétoriques de la science. De Kepler à Maxwell, Paris, 2004 et Id. (éd.), Metaphor and Analogy in the Sciences, Dodrecht, 2000.