« Un apport esthétique des jeux vidéo : sentir la matière numérique »
Appel à communication et à contribution
Journées d’étude et dossier pour la revue des Études digitales
les 16 et 17 novembre 2023 à Besançon (Université de Franche-Comté)
Responsables
Michaël Crevoisier (Université de Franche-Comté) et Thomas Morisset (Université Côte d’Azur)
Partenaires
Logiques de l’agir (Université de Franche-Comté)
CRHI (Université Côte d’Azur)
NEST project (Université Paris Lumières)
IRI (Centre Pompidou)
MICA (Université Bordeaux Montaigne)
Modalités de soumission d’une proposition
Les propositions attendues concernent une intervention lors de journées d’étude ayant vocation à constituer un dossier d’articles pour la revue des Études Digitales. La proposition doit contenir un titre, un résumé d’environ 4000 signes (espaces compris), ainsi qu’une bibliographie (restreinte à une dizaine d’entrées maximum) ; elle devra consister en un fichier .doc avec un nom du type « NomAuteur_sentir-matiere-numerique.doc ».
La date limite pour la remise des propositions est le 10 septembre 2023. Les propositions retenues seront annoncées le 25 septembre 2023.
Les journées d’études auront lieu à Besançon les jeudi 16 et vendredi 17 novembre 2023 (les frais de transports, de restauration et d’hébergement seront pris en charge).
Le rendu définitif des articles sera attendu pour le 10 décembre en vue d’une parution au second trimestre 2024 dans la revue des Études Digitales.
Les propositions sont à envoyer à : michael.crevoisier[at]univ-fcomte[point]fr, thomas.morisset[at]univ-cotedazur[point]fr et etudes.digitales.soumissions[at]gmx[point]fr
La proposition peut n’être destinée qu’au dossier, la participation aux journées d’étude n’étant pas une obligation. Dans ce cas, veuillez le préciser lors de votre envoi.
Argumentaire
L’ampleur de la pratique des jeux vidéo n’est plus à démontrer, les dernières enquêtes sociologiques insistent sur la diversité des âges, des milieux sociaux mais aussi des situations concernées. Outre sa prédominance économique dans le secteur des biens culturels, c’est surtout son insertion dans la vie quotidienne qui invite à penser que le medium vidéoludique est devenu un élément incontournable pour qui souhaite analyser notre rapport aux technologies numériques. Si cette pratique peut être analysée comme une activité ludique, soumise à des règles et impliquant certains comportements, elle peut aussi être comprise comme une manière spécifique d’interaction avec la machine et d’être en relation avec notre milieu technique. Les jeux vidéo exploitent ce que Gilbert Simondon appelait une « certaine marge non-utilitaire » des ordinateurs et par-là donnent à percevoir le numérique dans son aspect technique. C’est cette perception vidéoludique du numérique que nous souhaitons étudier.
Cette étude présuppose alors que le moment de jeu déploie une véritable relation technique, ce qui est loin d’aller de soi. Le même Simondon pensait en effet que l’attitude ludique était impropre à saisir le sérieux et la profondeur de la technique dans sa pureté. Or, les jeux vidéo, notamment par les fictions qui les composent, apparaissent bien comme des objets techniquement impurs. Comment comprendre alors qu’à travers eux un rapport heuristique à la technicité du numérique s’établit ? Répondre à cette question nécessite d’interroger les jeux vidéo non pas comme de simples spectacles des prouesses de la synthèse d’images, mais bien en tant que pratique. En effet, il s’agit de questionner la pratique vidéoludique au sens d’un usage des machines numériques à travers lequel un « contact avec [la] matière calculée » a lieu et se donne à réfléchir esthétiquement. Contre une pensée voyant dans les flux numérisés une réduction de la richesse sensible et par là un appauvrissement de notre faculté esthétique, il s’agit de comprendre comment le jeu vidéo étend le domaine du sensible : comment et en quoi les jeux vidéo donnent-ils à sentir la matière numérique ?
L’objectif est de proposer un questionnement sur les jeux vidéo compris comme terrain d’analyse du numérique, rendant possible une pratique esthétique à travers laquelle le numérique se donne à connaître autrement, par le sensible. L’intérêt théorique de cette approche du numérique par l’esthétique vidéoludique est d’ouvrir une autre voie que celles relatives aux questionnements phénoménotechniques ou étudiant avant tout la structure formelle des jeux vidéo et ses effets sur le comportement du joueur, sans pour autant exclure la question du code ou celle de la machine.
Pour les trois axes de questionnement que nous proposons, il s’agira de se demander en quoi les pratiques vidéoludiques permettent de mener l’analyse.
Axe 1 : légèreté et pesanteur de la matière numérique
L’expérience du numérique implique une contradiction : d’un côté, la fluidité de la manipulation de l’image et la facilité de l’interaction avec la machine ; de l’autre, la pesanteur de l’infrastructure technique et de la constitution algorithmique qui conditionne la possibilité d’une telle interaction et la synthèse des images et des sons perçus. La pertinence de la pratique vidéoludique pour l’analyse de cette contradiction est que le joueur est sensiblement pris entre ces deux pôles. En ce sens, nous proposons de cibler un intérêt esthétique des expériences vidéoludiques spécifique : le fait que ces expériences constituent un moyen d’appréhender cette contradiction entre légèreté et pesanteur comme tension, mais aussi en se déportant à l’extrême de chaque pôle afin d’en interroger la valeur heuristique. Que nous apprennent d’un côté des situations de pure fluidité comme le propose la théorie du flow, ou à l’inverse, des moments où le joueur perçoit pleinement l’infrastructure et sa lourdeur, que ce soit en raison de problèmes techniques, de propositions de game design ou d’expérimentations de la part du joueur ?
Axe 2 : expérimenter le dispositif, être disposé à l’expérience
Le régime d’expérience du vidéoludique est l’interaction et invite donc à penser par-delà une conception hylémorphique de la relation entre le dispositif ludique et le fait d’être disposé à jouer. En ce sens, il faut partir de l’interaction comme lieu d’échange, ce qui amène une double interrogation :
1) Il y a une relation entre la réalité positive du dispositif et la condition de possibilité de la disposition à jouer, à partir de laquelle doit être pensée d’une part la matière informée du vidéoludique (recelant la disposition à avoir), et d’autre part la forme matérialisée du joueur (toujours déjà informée par le dispositif technique). La question est donc la suivante : en quoi le dispositif vidéoludique est-il ce qui module notre disposition ? Et corollairement, dans quelle mesure les dispositions vidéoludiques peuvent-elles nous renseigner sur le dispositif numérique en général ?
2) Les dispositions esthétiques dans lesquelles nous plongent les arts ne sont pas sans rapport avec les dispositions politiques valorisées ou rejetées par les régimes de pouvoir. Sans préjuger d’une quelconque efficacité de cette disposition, la question mérite d’être posée : à quelle disposition politique la disposition vidéoludique ressemble-t-elle ? L’enjeu est ici de penser, au-delà des paniques morales réductrices, le pouvoir des jeux vidéo sur nous. Et la forme même de ce “nous” devient un aspect à interroger. Par la mise en relation de joueurs avec d’autres joueurs ou avec des traces de ceux-ci, à quel type de “partage du sensible” (Rancière) les univers vidéoludiques contribuent-ils ?
Axe 3 : l’expérience vidéoludique de la réalité technique du numérique
L’expérience vidéoludique est aussi celle de la matérialité de la machine numérique dans la mesure où cela fait partie de la pratique du joueur de se trouver confronté aux limites techniques de la machine mais aussi de chercher à intervenir dans son fonctionnement. Dit autrement, il y a une résistance de la machine qui le plus souvent ruine l’expérience esthétique (en ralentissant l’interaction, en empêchant certaines actions) mais qui peut aussi en être partie prenante : le jeu vidéo est aussi un jeu avec la machine rendant possible au sein de l’expérience esthétique une réflexivité sur ce que cela signifie de jouer avec une machine, et plus généralement de la relation que nous entretenons avec celles-ci. Au-delà du simple amusement à provoquer des dysfonctionnements (bugs) il y a l’exploitation systématique des glitchs à des fins ludiques ou esthétiques, de sorte qu’avec la manipulation de l’image apparaît la structure algorithmique et électronique du dispositif qui la produit (notamment dans la pratique du speed run). Comment l’expérience vidéoludique nous donne-t-elle accès à la matérialité du code, c’est-à-dire à cette résistance propre à l’algorithme qu’est la rigidité de sa structure logique ? Comment, de manière plus large, nous donne-t-elle accès à la réalité technique de la machine numérique et par quelles facettes de celle-ci ?
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