Explicitation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

Explicitation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

Chers étudiants, chères étudiantes,

L’université, la chose n’est pas nouvelle, est soumise à un tir tendu par nos gouvernants à travers la loi dite « LPR » (pour « loi de programmation pluriannuelle de la recherche »). Cette loi n’est qu’une couche de plus ajoutée aux précédentes qui, depuis 2007, et le lancement de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse), assombrissent le devenir de l’université comme service public de recherche et d’enseignement.

L’autonomie n’a fait qu’aggraver l’inflation d’outils de pilotage de la recherche et de l’enseignement, inflation dont le ressort non masqué est de produire des indicateurs pour gérer une pénurie de financement des universités (la bascule, en 2009, d’un modèle de financement selon les besoins à un modèle de financement selon les besoins et les performances ne prend évidemment pas la mesure des retards accumulés par l’université dans de nombreux domaines, faute de moyens, on laissera de côté le fait que le nouveau système, ayant remplacé San Remo, a été nommé « SYMPA »…pour système de répartition des moyens à la performance et à l’activité). Malgré des annonces de hausses de budget ces dernières années (par exemple + 500 millions en 2019), il faut rappeler que ces hausses ne compensent ni les retards d’investissement (dans les infrastructures en particulier), ni l’augmentation du nombre d’étudiant.e.s (comme le montre l’étude Repères et références statistiques 2016, entre 1980 et aujourd’hui, la part de dépense intérieure de l’éducation consacrée au supérieur a augmenté, passant de 15% à 20%, mais dans le même temps le nombre d’étudiant.e.s a doublé – cherchez l’erreur).

Le gouvernement (et parfois, il faut bien le dire, les universités elles-mêmes, contraintes et forcées) en appelle au nécessaire « renforcement des ressources propres » des universités (Les Echos, 19 juillet 2019). Que veut dire concrètement ce « renforcement » ? Que l’Etat et le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) comptent sur les universités pour trouver les moyens de maintenir, comme elles peuvent, leur activité. Le gouvernement a ainsi indiqué le chemin l’an passé avec son programme « Bienvenue en France » (là encore on appréciera le choix des mots) c’est-à-dire un programme d’augmentation – fortement recommandée – des frais d’inscription pour les étudiants étrangers.

Dans ce contexte la « Loi de programmation sur la recherche » portée par la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Mme Frédérique Vidal paraît très loin des attentes du monde universitaire et de la recherche. Pour tout dire, le remède semble devoir empirer le mal, ou tout au moins l’accompagner. Le monde universitaire réclamait unanimement en effet un grand plan de relance et d’investissement de l’université et de la recherche avec la planification d’une augmentation budgétaire de 1 Mds d’€ par an sur dix ans pour la recherche, et 2 Mds d’€ par an sur dix ans pour l’enseignement. La montagne n’a pas accouché d’une souris mais d’un monstre. La LPR c’est :

  1. D’abord une opération de maquillage comptable pour faire passer la réforme des retraites qui prévoit une baisse drastique des cotisations employeur (de 74,8% à 17,8%), signifiant une baisse des pensions. Les ressources dégagées par l’Etat sont supposées alimenter un financement de la rénovation des services publics, dont l’ESR. L’opération est assez étrange puisqu’elle revient à faire des ressources futures des agents de la fonction publique (leurs pensions) la manne éventuelle d’une rénovation des services publics de l’Etat. Cette économie (41 Mds€) pour l’Etat abondera-t-elle la LPR et à quelle hauteur ? Rien n’est moins sûr. 92 Millions d’€ sont pour l’heure prévus pour revaloriser les primes (37€ bruts mensuels par personnel, faut-il rappeler par ailleurs que le gel du point d’indice depuis 20 ans a fait chuter le pouvoir d’achat des agents de la fonction publique de 25%). Cette loi n’a donc d’autre objectif que de passer de la théorie SYMPA à la pratique, c’est-à-dire inviter les établissements publics d’enseignement et de recherche à développer la recherche de financements propres. Pour cela la LPR met en place des dispositifs juridiques permettant de gérer les universités comme des entreprises.
  2. En effet, deuxième aspect, la LPR introduit une flexibilisation de l’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche : CDI missions, CDI chantiers, contrats doctoraux de droit privé, contrats courts de recherche (post-doc) du même type, des formes de titularisation longue (tenure-track) à travers les chaires de professeurs juniors et surtout aucune création de postes de fonctionnaires. Il faudra faire toujours plus avec une proportion de plus en plus grande de personnels précaires, cette précarité étant parfois enrobée dans du sucre, comme les pommes d’amour des fêtes foraines de notre enfance. C’est toute une philosophie de pérennisation de la précarité dans l’ESR qui est mise en marche.
  3. Enfin un déni de démocratie. La LPR a été précédée d’un avant-projet de protocole dit « d’amélioration des rémunérations et des carrières des personnels de l’ESR ». Le gouvernement a conditionné la participation des syndicats de l’ESR aux négociations futures qui porteront sur la rémunération et sur la mise en œuvre de la LPR à 1) l’acceptation de ce protocole, 2) adossée à une acceptation de la loi. Le refus de ce protocole par certaines organisations syndicales (CGT, FSU, FO, Sud) écarte durablement ces dernières (10 ans) de toute participation aux discussions concernant le fonctionnement et l’avenir de l’ESR.
  4. Last but not least, cette loi a donné lieu à des « amendements » lors des discussions à l’Assemblée et au Sénat, et récemment au sein d’une Commission mixte paritaire. Cette commission réunit des membres de l’Assemblée et du Sénat (notamment les présidents des deux commissions de ces assemblées saisies au fond, « commission des affaires culturelles et de l’éducation » pour l’Assemblée, et « commission de la culture, de l’éducation et de la communication » pour le Sénat ; cinq rapporteurs, quatre de l’Assemblée, et une pour le Sénat, Laure Darcos, qui préside cette commission). Tous les titulaires de cette commission sont de farouches défenseurs de la Loi (issus des rangs LR ou LREM, à l’exception de deux PS), il faut regarder du côté des suppléants pour trouver des regards plus critiques (mais leur voix est consultative, ils ne prennent pas part au vote). Deux amendements sont particulièrement inquiétants (après un premier amendement, désormais abandonné, portant sur la subordination des libertés académiques à des valeurs politiques) : 
    • a. Amendement 147 (article 1B de la loi) qui crée un nouveau délit propre à l’ESR, le « délit d’entrave aux débats », dont l’interprétation pourrait être laissée à l’appréciation des présidents d’universités dans la mesure où un article (17) prévoit de leur donner des pouvoirs de contrôle de légalité élargis, une compétence exercée jusqu’ici par les recteurs.
    • b. Amendement portant sur la suppression du rôle du CNU comme instance de qualification aux fonctions de professeur des universités (PU). Dans le même esprit une suppression de la qualification aux fonctions de maître de conférences pour le recrutement des enseignants chercheurs est mise à l’épreuve (expérimentation au cours de laquelle, pour certaines universités et dans certains cas, cette qualification ne sera plus réclamée).

Après une série d’actions (motions, pétitions, prises de position) nous considérons ne pas avoir été entendu par notre ministre de tutelle. Nous ouvrons donc un débat dont nous informerons les étudiant.e.s et auquel nous les invitons à participer pour trouver les moyens d’action et de riposte à la hauteur des attaques subies. Maintenant, il faut agir. La loi doit être votée les 17 et 20 novembre. Mais comme vous l’avez compris, pour nous, ce mauvais breuvage ne passera pas.