Le laboratoire Logiques de l’Agir a le plaisir de vous convier à la onzième séance doctorale de son séminaire le mercredi 20 novembre 2024 de 18h00 à 20h00, en salle E14 (Grand Salon), entrée par le 18 rue Chifflet, 25000 Besançon.
Interviendront : William Addey et Océane Gusching.
William Addey : Rester parasite. L’interdépendance dans One Health et comment l’œuvre de M. Serres nous aide à la comprendre
Résumé
Vêtu de cuir, mangeant des saucisses et sédentaire entre quatre planches, suis-je différent du ver dans la pomme ? Pire, à quel point éleveurs et parasitoïdes se ressemblent manipulant tous deux le comportement des animaux vivants avant de les tuer. Et, à l’instar de nos sociétés en « transition », les parasites dépendent également fortement de leur environnement pour avoir une vie durable ; si leurs hôtes meurent avant qu’ils ne puissent évoluer, les parasites meurent aussi. C’est ce que Michel Serres affirme dans Le Parasite, écrit en 1982 : « Nous parasitons nos semblables et nous vivons au milieu d’eux. » Avant de nous alerter ensuite dans le Contrat naturel publié en 1995 : « nous dépendons désormais de ceux qui dépendent de nous ». Pour moi, cette dernière phrase résonne fortement avec le concept One Health. Tentant d’intégrer plus d’éthique et d’équité dans les rapports entre le Nord et le Sud global, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OMSA), le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) définissent désormais l’approche « Une seule santé » comme une action équilibrée pour la santé des humains, des animaux, des plantes et de l’environnement. Mais pour moi des doutes subsistent si c’est la même définition de la santé qui est utilisée partout. Car s’il n’y a littéralement qu’une seule santé, pourquoi la sixième extinction de la biodiversité est-elle en cours et cinq autres limites planétaires sont-elles dépassées alors que la régression à la moyenne de l’espérance de vie humaine n’a jamais été aussi élevée ?
La première partie exposera les différentes définitions de la santé qui sont mobilisées dans One Health. La deuxième partie plus exploratoire essaiera de proposer une réflexion sur ce que le parasitisme peut apporter à la transdisciplinarité dans One Health. Dans son livre Statues, le deuxième livre des fondations, Serres compare l’incident dramatique de Challenger au bûcher de la statue de Baal dans l’Égypte ancienne, expliquant comment le sacrifice de l’équipage n’est pas différent du sacrifice des hommes et des femmes dans la statue de Baal. Bien que choquant, Statues nous rappelle donc que la recherche scientifique, même pour la conservation, se construit et exige des sacrifices. Le sacrifice des parasites qui permet au bruit de devenir un signal intelligible. One Health cherche à extraire du bruit des interactions de la communauté biotique des signaux que nous appelons santé. Je chercherai à vous expliquer pourquoi selon moi rester parasite pourrait donc être une action One Health équilibrée.
Océane Gusching : Sur le terrain de la fabrique du temps. L’épistémologie à la rencontre de la science
Résumé
Alors que la philosophie de terrain est une branche de la philosophie des sciences davantage connue dans le domaine médical, il s’agit ici d’investir le terrain de la physique et de la métrologie.
Le temps est central dans nos vies quotidiennes et toute l’organisation de notre société se fait aujourd’hui à partir du Temps Universel Coordonné, dit « temps papier » ou encore « temps de laboratoire ». En effet, le passage au temps atomique comme référence internationale marque le début d’une fabrique du temps. Cette fabrique vient remplacer la mesure par le changement de technique à son origine, c’est-à-dire l’utilisation d’horloges atomiques. La mesure devient alors fabrique, de l’étalon d’une part (la seconde) et de l’échelle de temps d’autre part (le Temps Universel Coordonné). Cela a profondément modifié le rapport des individus au temps, en leur livrant un temps international, c’est-à-dire le même pour tous alors que depuis Einstein le temps était relatif. On ne vit plus chacun dans notre temps propre mais tous dans le temps universel coordonné. Et c’est ce temps, diffusé avec une précision historique, qui rythme notre quotidien. Cela a également modifié la société dans sa globalité, qui connait un sentiment d’accélération généralisé.
À travers une enquête sur le terrain des scientifiques de la fabrique du temps, il s’agit de montrer que le passage à une nouvelle technique de mesure, les horloges atomiques, a modifié le concept de temps. Ainsi, en partant à la rencontre de différents instituts nationaux de métrologie (INRIM, PTB, Observatoire de Paris, BIPM, METAS, etc.), en participant à des colloques, congrès et séminaires scientifiques et en passant du temps au sein des laboratoires de sciences, l’objectif de ce projet est de produire un dialogue avec les physiciens qui travaillent sur le temps, avec ces scientifiques qui “fabriquent” le temps. À partir d’entretiens menés dans les laboratoires, il s’agit de réfléchir à la réalité du temps dans le domaine du temps-fréquence aujourd’hui, au concept de temps dans le nouvel esprit des scientifiques et il s’agit de leur présenter la phénoménotechnique du temps afin de questionner le concept de mesure ou encore leurs pratiques et leur rôle dans la société. Cela dans le but de les interroger et de les faire s’interroger sur l’évolution des techniques de mesure du temps qui a transformé notre rapport au temps en tant qu’individus, en tant que société et a modifié la mesure elle-même.