Le laboratoire Logiques de l’Agir a le plaisir de vous convier à son séminaire le mercredi 9 octobre 2019 à 18h00 à l’UFR SLHS de l’Université de Franche-Comté en salle E14 (Grand Salon), entrée par le 18 rue Chifflet, 25000 Besançon.
Nous recevrons Carole Widmaier (Université de Franche-Comté) qui prononcera une conférence inaugurale intitulée :
L’imagination contre elle-même.
Pistes spinozistes et arendtiennes pour une pensée de la communauté
Présentation de la conférence
L’ambivalence fondamentale qui selon Ricœur traverse les idéologies et les utopies (L’idéologie et l’utopie, Seuil, 2005), et qui le conduit à en distinguer systématiquement les formes « saines » et les formes « pathologiques », habite très certainement l’ensemble des dynamiques imaginaires, que celles-ci opèrent au sein des sujets individuels ou au sein des communautés, dans les représentations qu’ils se font de leur identité, de leur unité, de leur histoire et de leur avenir.
Nous proposons lors de cette séance de travailler cette ambivalence à partir de deux philosophies que pourtant tout semble opposer : celles de Spinoza et d’Arendt.
Le rationalisme de Spinoza implique dans un premier temps une condamnation de l’imagination comme projection illégitime de l’individu de ses propres représentations sur des objets qui lui sont extérieurs et qui se trouvent dès lors anthropomorphisés. Mais c’est ce même rationalisme qui exige plus encore de reconnaître que les mouvements imaginaires dans leur infinie diversité sont constitutifs des équilibres instables que nous sommes tous, individuellement et collectivement, et dont l’instabilité tient à leur polarisation constante, à leur constante affectation, à leur inscription dans des processus de composition et de décomposition. Cette diversité infinie permet d’envisager l’imaginaire comme un espace qui, loin d’être une zone grise, soit le lieu par excellence du passage de la décomposition à la composition, c’est-à-dire le lieu où se joue la possibilité de l’émergence du sens ou de la joie partagée. Car l’enjeu principal de la constitution de communautés joyeuses, seul support possible à l’institution d’une communauté active, réside dans la capacité à se laisser affecter par le vrai.
Arendt, dans une perspective qui est à l’inverse critique vis-à-vis des prétentions de la rationalité scientifique à énoncer le vrai, identifie une similitude entre l’appétit de fiction des masses qui se satisfait dans l’idéologie et une certaine obsession rationaliste pour la cohérence, en tant qu’ils relèvent d’une même pathologie de l’imagination, à savoir la perte du sens commun. Mais c’est également dans l’imagination, dans ses modalités spécifiques que sont la compréhension et la pratique du jugement politique, c’est-à-dire essentiellement dans les différentes formes de la mémoire, que l’on pourra espérer trouver les ressources pour la constitution de communs sensés.
Par le travail conjoint de ces deux pensées de la plurivocité de l’imagination, nous espérons ouvrir quelques pistes pour une philosophie de l’imagination commune, qui prenne acte de la multitude des opérations imaginaires dans la perspective de l’établissement des conditions de l’augmentation commune de la puissance, c’est-à-dire de la liberté collective.
Carole Widmaier est maître de conférences en philosophie politique à l’Université de Franche-Comté. Elle travaille actuellement sur les formes plurielles de l’imagination du commun (utopie, idéologie, cliché, mobilité entre les points de vue, analogie) à partir d’une interrogation sur les modalités d’appropriation commune de la conceptualité scientifique (notamment de celle des neurosciences). Elle a publié Fin de la philosophie politique (2012) et édité Qu’est-ce que la politique? d’Hannah Arendt (2014). Elle vient par ailleurs de publier un opuscule chez Gallimard Jeunesse : Que nous apprend l’expérience ? (2019)